"J’aime les gens qui passent, moitié dans leurs godasses, moitié à côté"
chante Anne Sylvestre. Cette image pourrait illustrer le fonctionnement de la personnalité état-limite.
Leur bonne adaptation sociale et professionnelle risque de nous faire passer à côté de leur fragilité.
De quelles fragilités est-il question ?
Comment reconnaître et aborder une personne état-limite ?
Le pôle d’organisation état-limite se situe entre l’organisation névrotique (dysfonctionnements psychiques dont une personne a conscience, qui entraînent une perturbation de sa personnalité sans pour autant l’empêcher de vivre normalement) et psychotique (perte de contact avec la réalité). Comme un curseur, certaines personnes EL sont davantage structurées comme les névrosés et d’autres se rapprochent de la psychose.
Plus on va vers la psychose, plus les symptômes seront visibles et bruyants : addiction, auto-mutilation, relations chaotiques, passages à l’acte, suicide, ... Ces personnes sont des écorchés vifs, débordés par l’angoisse.
Les EL « versant névrose » sont ceux qui font l’objet de cette réflexion. Ils sont plus difficiles à identifier car leurs troubles sont plus discrets mais qu’ils soient bruyants ou silencieux, ils s’organisent autour de racines communes qui touchent essentiellement le narcissisme et la question de l’identité.
Comment se manifestent ces deux sources de souffrance ?
La personne EL manque d’un appui interne, comme si une part d’elle manque, elle vit un profond sentiment d’insécurité intérieure, ce qui entraîne une angoisse diffuse et constante. Pour supporter l’angoisse et le manque d’appui interne, la personne met en place des « solutions ».
Parmi elles, l’EL cherche un appui dans la présence d’une personne : la présence de cet autre sera recherchée pour combler ce manque intérieur et nourrir son estime (son narcissisme pour être précis) mais son absence lui rappelle la douleur du manque. L’EL le vit comme une dépendance, le voit comme une faiblesse. Difficile de grandir quand on ne peut pas se nourrir de l’autre !
Une autre manière de colmater cette brèche interne est d’avoir recours à l’alcool, la drogue, etc : les effets calmants sont immédiats et répétitifs et pas décevants comme le sont tôt ou tard les relations.
D’autres portes de sortie à leur souffrance sont les mises en danger (sport à l’extrême, privation de nourriture, ...), les conduites délinquantes et les tentatives de suicide. Ces conduites apaisent, ont pour effet également d’attirer l’attention de l’entourage et souvent, l’EL aime être le centre de l’attention, pour compenser son manque d’estime de lui.
Ces différentes formes d’appui peuvent être analysées selon 3 niveaux : le mode relationnel, la fragilité de l’identité et la faille narcissique
1.Le mode relationnel
L’EL est comme une baignoire sans bouchon : son avidité affective n’est jamais comblée. Il est dans une attente passive de satisfaction et il oscille entre la fusion, l’agressivité, car il supporte mal la frustration, et la fuite. Pour l’aidant, il est difficile de trouver une bonne distance. Le rapprochement est vécu comme un risque (risque d’être démuni ou risque de mainmise de l’aidant). L’éloignement induit au contraire une blessure intolérable et un risque d’interruption. Il faut donc naviguer entre les deux du mieux possible.
Adrien, la quarantaine, demande l’aide d’un coach. Il ne se plaît pas dans son boulot et voudrait changer mais pour aller où ? C’est récurrent chez lui : après quelques mois dans une même travail, il se désintéresse, n’y trouve plus de sens et se lance à la recherche d’un nouveau travail. Il rêve d’un travail où il se sentirait utile. Il veut « trouver le graal dans le travail ». Mais à chaque fois, il voit quelque chose qui pourrait ne pas lui plaire. « Dans quel panier mettre mes oeufs et que ça aille ? ». Adrien a déjà consulté 2 autres coaches mais « ça n’a rien fait ». Il a perdu toute confiance en lui, dit de lui-même qu’il ne sait pas ce qu’il veut et qu’il est inefficace. Il se sent sans énergie.
Adrien est marié, père de deux jeunes enfants. Il présente sa femme comme la huitième merveille du monde. Il est en difficulté par rapport à son beau-père qui a fait une brillante carrière : il se sent jugé par lui, se vit inférieur à lui et voudrait assumer qu’il n’a pas choisi de faire carrière comme son beau-père. Il a beaucoup d’amis mais il ne partage pas ses doutes et déceptions avec eux. C’est important, dit-il, de donner une façade d’homme fiable, à l’écoute des autres. Il craint que l’autre soit en colère sur lui, ce qui signifie ne plus être aimé. Il est le quatrième et dernier enfant et a été (et est toujours) le chouchou de ses parents. « Mes parents ne me voient pas comme je suis, ils ne m’ont pas équipé pour faire face au monde extérieur, je ne leur reproche rien mais j’ai pris beaucoup de distance ».
Il attend beaucoup de ce trajet en coaching. Il demande au coach de lui donner des exercices entre deux séances mais il oublie d’une séance à l’autre, ce qui a été dit, travaillé avec le coach.
Quand le coach pose des questions, il adopte un rictus et le haut de son corps recule et se raidit. Il contre-argumente les propositions, hypothèses faites par le coach. Il a un discours intellectualisé, peu investi sur le plan affectif : il semble coupé de lui-même. Quand celui-ci lui reflète combien ça a l’air difficile pour lui de laisser entrer un autre point de vue, il se défend et dit qu’il fait confiance.
Adrien ira jusqu’au bout des séances prévues et partira en disant que rien n’a changé et qu’il n’en veut pas du tout au coach. Ce dernier le verra partir avec soulagement : irritation, sentiment d’impuissance ont souvent été au rendez-vous lors des séances. Adrien lui aura fait vivre son propre sentiment d’impuissance et sans doute aussi sa colère (pas consciente chez Adrien) de ne pas avoir été aidé.
Organisation de la personnalité.
Adrien présente des signes d’immaturité affective. Ils apparaissent dans ses relations aux autres, marquées du sceau de la dépendance. Il idéalise sa femme, demande conseils et avis à droite et à gauche, se sent inférieur à son beau-père qui incarne la réussite à ses yeux. Par rapport à ses amis, il veut au contraire se montrer l’homme fort qui est disponible pour eux. Adrien est dans des relations asymétriques, de nature anaclitique où tantôt il s’appuie sur l’autre et se réfère à ses conseils, tantôt il est le « thérapeute » de ses amis. Par rapport au coach, il est dans la passivité : « ça n’a rien fait », position symbiotique où la solution semble devoir venir de l’extérieur.
Certains éléments suggèrent une problématique narcissique centrale. Adrien cherche le graal, ce qui montre chez lui l’existence d’un écart entre son idéal du moi et la réalité. Il est animé de doutes et se juge sévèrement : « je ne sais pas ce que je veux, je suis inefficace ». La disqualification est présente et témoigne des carences narcissiques chez Adrien.
On voit également des traces de l’angoisse d’abandon. Adrien ne peut pas se fâcher, de peur de perdre l’amour de l’autre. Il idéalise sa femme, ce qui la rend intouchable. C’est un mécanisme de défense qui lui permet de la percevoir comme totalement bonne, ce qui le protège de tout mouvement d’agressivité. Il a manqué d’un regard « juste » de ses parents sur lui, leur admiration a probablement laissé Adrien dans beaucoup de solitude. Comment se reconnaître dans ce regard ? Comment réussir à être à la hauteur ?
On peut émettre l’idée d’une résistance au changement chez Adrien. Bien qu’il soit en demande d’aide, il ne prend rien des interventions du coach, il ne garde pas le fil d’une séance à l’autre. Il se place dans une relation d’appui, d’étayage tout en maintenant l’autre à distance. Il ne supporte pas le rapprochement, l’intimité. Sans doute s’est-il senti phagocyté par ses parents et lutte-t-il contre cette angoisse en maintenant la porte fermée à tout rapprochement qui serait vécu comme une intrusion.
2. La douleur d’exister
Au fil des entretiens, la façade de l’édifice de personnalité peut se craqueler et laisser émerger un désarroi exprimant l’impuissance de la personne à vivre ou à être : « je suis toujours vivant mais je fais semblant d’exister », « ma vie est plate, ennuyeuse ». Ces personnes ont l’air de flotter dans leur existence, à la recherche d’un point d’amarrage, ce qui peut faire peur à l’aidant non outillé ou l’amener à jouer Sauveur et à proposer des solutions réparatrices qui tiendront le temps d’un sparadrap sur une blessure purulente. Il se peut aussi qu’il n’ait pas le contrat lui permettant d’intervenir.
3. La faille narcissique
Les carences précoces ont fragilisé le narcissisme sain des EL. Certains, pour se protéger, développent des idées ou des fantasmes mégalomanes auxquels ils s’accrochent.
Marie est au chômage : elle voit un coach pour qu’il l’aide à trouver du travail. Marie n’a qu’une idée : elle veut devenir cuisinière sur des bateaux de croisière. Elle s’imagine une vie dans le luxe, au soleil, à côtoyer des personnes riches... Elle est furieuse quand le coach cherche à lui montrer la réalité du métier et à l’ouvrir à d’autres possibilités. Elle ne terminera pas son trajet de coaching. Le coach, pris par le temps, l’a trop vite confrontée à son excès d’idéalisation. Marie s’est sentie en danger de perte de son sentiment d’omnipotence qui la protège d’un sentiment d’impuissance ou d’infériorité.
Je vous ai donné un aperçu de quelques manifestations EL. Vous pouvez vous rendre compte que l’accompagnement de ces personnes nécessite une souplesse d’ajustement. Je pars du principe que plus vous aurez une compréhension élargie de ce qui est en jeu, mieux vous pourrez réfléchir à votre manière d’intervenir.
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Catherine Pilet